jeudi 27 décembre 2012

"N'AURIEZ-VOUS PAS ALORS TOUJOURS VOTRE ENFANCE...


...cette délicieuse et royale richesse, ce trésor des souvenirs, les sensations englouties de votre vaste passé ?". 

C'est ainsi que Rainer Maria RILKE s'adresse dans "Lettre à un jeune poète", texte capital, essentiel, à lire et à relire dont je vous propose un extrait :





Bien que de façon beaucoup moins profonde, de nombreux écrivains ont évoqué l' enfance et son univers.

Pour J.P.Sartre, dans Les Mots : " j'ai connu l'inspiration entre sept et huit ans" .

"A peine eus-je commencé d'écrire, je posai ma plume pour jubiler. L'imposture était la même mais j'ai dit que je tenais les mots pour la quintessence des choses. Rien ne me troublait plus que de voir mes pattes de mouche échanger peu à peu leur luisance de feux follets contre la terne consistance de la matière: c'était la réalisation de l'imaginaire. Pris au piège de la nomination, un lion, un capitaine du Second Empire, un Bédouin s'introduisaient dans la salle à manger; ils y demeureraient à jamais captifs, incorporés par les signes; je crus avoir ancré mes rêves dans le monde par les grattements d'un bec d'acier. Je me fis donner un cahier, une bouteille d'encre violette, j'inscrivis sur la couverture: « Cahier de romans. » Le premier que je menai à bout, je l'intitulai: « Pour un papillon. » Un savant, sa fille, un jeune explorateur athlétique remontaient le cours de l'Amazone en quête d'un papillon précieux. L'argument, les personnages, le détail des aventures, le titre même, j'avais tout emprunté à un récit en images paru le trimestre précédent. Ce plagiat délibéré me délivrait de mes dernières inquiétudes: tout était forcément vrai puisque je n'inventais rien. Je n'ambitionnais pas d'être publié mais je m'étais arrangé pour qu'on m'eût imprimé d'avance et je ne traçais pas une ligne que mon modèle ne cautionnât. Me tenais-je pour un copiste? Non. Mais pour un auteur original : je retouchais, je rajeunissais; par exemple, j'avais pris soin de changer les noms des personnages. Ces légères altérations m'autorisaient à confondre la mémoire et l'imagination. Neuves et tout écrites, des phrases se reformaient dans ma tête avec l'implacable sûreté qu'on prête à l'inspiration. Je les transcrivais, elles prenaient sous mes yeux la densité des choses. Si l'auteur inspiré, comme on croit communément, est autre que soi au plus profond de soi-même, j'ai connu l'inspiration entre sept et huit ans."Extrait de Les mots - Jean-Paul Sartre


Pour d’autres écrivains, comme Pierre Loti, plus que le livre, l'écriture ou la lecture, ce sont les jouets qui demeurent et avaient la primauté dans son enfance. Il associe à un jouet son plus lointain souvenir de sa mère.

 Il a environ trois ans, un matin de mai, alors qu’il se “relevait d’une de ces petites maladies d’enfant” qui l’avait tenu cloué au lit. Il la revoit très nettement, dans l’embrasure de sa porte :  « Avec ce bouquet de jacinthes roses, elle m'apportait aussi un petit pot à eau et une petite cuvette de poupée, imités en extrême miniature de ces faïences à fleurs qu'ont les bonnes gens dans les villages. » 

Plus tard,et il se demande  « pourquoi, parmi mes jouets d'enfants conservés, ce pot à eau de poupée  a-t-il pris, sans que je le veuille, une valeur tellement privilégiée, une importance de relique ? Tellement qu'il m'est arrivé, au loin, sur mer, à des heures  de danger, d'y repenser avec attendrissement et de le revoir, à la place qu'il occupe depuis des années, dans une certaine petite armoire jamais ouverte, parmi d'autres débris ; tellement que, s'il disparaissait, il me manquerait une amulette que rien ne me remplacerait plus.” (Le roman d'un enfant).



200 years of  playtime pottery & porcelaine ( dinettes )Les jeux avec les dînettes en porcelaine pour l'heure du thé d'herbes et des gâteux en feuilles ovales d’acacia ont pour moi la force de cette véritable amulette et du monde des choses qu'évoque Rilke.

Que ce soit livres ou jouets associés à une personne, un état ou un moment précis, ma recherche dans les greniers de ma mémoire me conduit à vous proposer la lecture ou relecture d'un tableau totalement imaginé extrait de ma "Terre d'enfance".


" Rêve de six ans : la Reine des neiges-

À la faveur d’une forte fièvre, en ce temps-là, j’imaginais que nous habitions à Rio, où mon père aurait été
interprète à l’ambassade.
Rêvant les pièces de l’immense appartement aristocrate que nous occupions, mon père, sa compagne, ma soeur et moi-même, nous avions une vue imprenable sur la célèbre plage d’Ipanema, depuis la terrasse ombragée, au 7°étage, rue Consolamento del Oyos.
Cette infection pulmonaire très virulente me cloua au lit pendant plusieurs semaines. Le médecin, aux épais
sourcils se fronçant de plus en plus à chaque visite, conseilla à mon père de prévenir ma mère.
J’eus l’heureuse surprise, le jour anniversaire de mes six ans, de sentir un baiser maternel sur mon front brûlant.
Elle arrivait précipitamment, coiffée et habillée avec soin, faisant suivre de nombreuses malles et valises.
L’une d’elles m’était destinée, mais avant de pouvoir en examiner le contenu, elle en sortit un livre en français, spécialement choisi pour me guérir.
C’est alors que j’ai vu, une fois, une magnifique image dans un livre, une fois et une seule car l’impression fut
aussi forte que fugitive, aussi inoubliable que jamais retrouvée, mais inscrite au plus profond de moi.
Il s’agissait de la Reine des neiges, ce conte d’Andersen venant du froid nordique; ce grand album était
entièrement illustré de grandes images aussi douces que tristes, toutes en camaïeu de blanc, de gris, de gris-bleu, de bleu turquoise, créant un univers aussi glacial que doux, aussi vaporeux que palpable.
Cette image représentait la Reine des neiges sur son traîneau, aux prises avec des brigands dans leur repaire,
au creux d’un immense arbre. Le grand manteau évasé en fourrure, le manchon et la chapka de fourrure de la délicieuse Reine tranchaient tellement avec les visages grossiers, l’énormité des brigands, rustres personnages buvant sur des tables de taverne et pour lesquels le bleu gris camaïeu tournait au marron sale.
Finalement, la Reine des neiges reprit possession de son domaine de douceur cotonneuse et de bleus, mais les images de cet album oublié dans quelque grenier ou égaré lors des déménagements, m’ont toujours rejointe au fond de mes rêves, lorsque la froideur de l’hiver chassait la maladie ou lorsqu’il fallait faire face à des brigands repoussants.
Le livre refermé, le rêve s’est enraciné."


En ayant commencé cette page avec un extrait de R. M. Rilke, je ne saurai la refermer sur un de mes textes...
Aussi, retour à la Nature, il ne faut pas l'oublier, même au coeur de l'hiver.

PAYSAGE D’ÉTÉ AVEC L’ENFANT JUPITER

Johannes Visscher

d’après Nicolaes Berchem.
non datée

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