vendredi 7 février 2014

EUGENIE

Le temps passe, les journées sont bien remplies et cela fait bien longtemps que je voulais vous présenter Eugénie de Guérin.


Son journal m'accompagne depuis quelques mois, après avoir lu, il y a plus de trente ans, le Cahier vert, de son frère Maurice, dont je vous ai donné à lire quelques extraits, ici -même, du magnifique poème en prose qu'est "Le Centaure".

Le château de la famille de Guérin, au Cayla (près d'Andillac et de Gaillac) dans le Tarn, fait partie de ces lieux magiques où l'on a besoin de se rendre régulièrement, au cœur d'une forêt perdue, de vallons en vallons, sur un monticule de calcaire. Pour la biographie de Maurice et Eugénie (tous deux décédés de la tuberculose dans leur jeunesse), reportez-vous à l'excellent et court article de Maurice Greslé Bouignol (Les Tarnais - Dictionnaire biographique) http://catholique-tarn.cef.fr/spip.php?article2135


Voici un croquis que j'ai réalisé, il y a longtemps et des photos de l’automne dernier.






 "Une lettre de Paul a commencé ma journée. Il m'invite d'aller à Albi, je ne lui promets pas, il faudrait sortir pour cela, et je deviens sédentaire. Volontiers je ferai vœu de clôture au Cayla. Nul lieu au monde ne me plaît comme le chez moi. Oh! le délicieux chez moi! "( Journal, le 24 novembre 1834).


 "La soirée s'est passée hier à Gaillac (...) Rien ne me fait aussi tôt bailler qu'un journal. Il n'en était pas de même autrefois, mais les goûts changent et le cœur se déprend chaque jour de quelque chose " (7 décembre 1834).


 "J'écoute le berger qui siffle dans le vallon. C'est l'expression la plus gaie qui puisse passer sur les lèvres de l'homme. Ce sifflement marque un sans-souci, un bien être, un je suis content qui font plaisir. Ces pauvres gens, il leur faut bien quelque chose, ils ont la gaieté. Deux petits enfants font aussi en chantant leur fagot de branches parmi les moutons ; ils s'interrompent de temps en temps pour rire ou pour jurer, car tout cela leur échappe. J'aimerais les voir faire et écouter le merle qui chante dans la haie du ruisseau; mais je veux lire " (17 mars 1835).




"J'ai lu quelques pages, écrit un peu, pensé beaucoup et fait une fusée charmante, et tout cela s'appelle un jour, un de mes jours" (15 février 1838)

"Visite d'une dame et de sa petite fille, jeune plante un peu flétrie, pâle, inclinée, sous une fièvre lente, sous le développement de la vie qui la fait souffrir. Elle est blanc d'albâtre, Francine, à peine rosée de langueur intéressante. Que sa grand-mère a vu de choses! Ces aïeules sont des collections d'antiques en tout genre." (27 avril 1839)



"Tous les soirs je lis quelque Harmonie de Lamartine, j'en apprends des morceaux par cœur, et cette étude me charme et fait jaillir je ne sais quoi de mon âme qui me transporte loin du livre qui tombe, loin de ceux qui parlent auprès de moi ; je me trouve où sont ces esprits qui balancent les astres sur nos têtes, et qui vivent de feu comme nous vivons d'air. Puis, on est tiré de là pour aller mettre de la graisse à la soupe... Voilà qui dépoétise pour le moment. On ne ferait rien de suivi avec ce train de ménage.
J'aurais toujours regret de n'avoir pas fait mes Enfantines. Mais pour cela, il m’aurait fallu être tranquille dans ma chambre comme une abeille dans sa ruche." (11 avril 1836).


"Papa est allé aux Cabannes, le pasteur est venu, il a neigé, fait soleil, toutes les variations du ciel, et peu de chose à dire. Je ne suis pas en train d'écrire ni de rien faire d'aimable : au contraire. Il y a de ces jours où l'âme se recoquille et fait le hérisson. Si tu étais là tout près, comme, hélas! je te piquerais bien fort, ce me semble. Et plût à Dieu que cela fût ! Je ne serais pas à penser que peut-être tu tousses, que tu n'es pas bien portant dans cet air de Paris" (12 février 1838).




"Saint Augustin aujourd'hui (...) Que n'ai-je une mémoire à tout retenir ! Mais, par malheur, je l'ai si fugitive qu'autant vaudrait ne rien lire. Il n'en était pas de même jadis. C'est que je décline et que mes facultés baissent, excepté celle d'aimer. L'amour, c'est l'âme qui ne meurt pas, qui va croissant, montant comme la flamme." (27 août 1835)


 "Notre ciel aujourd'hui est pâle et languissant comme un beau visage après une maladie. Cet état de langueur a bien des charmes, et ce mélange de verdure et de débris, de fleurs qui s'ouvrent sur des fleurs tombées, d'oiseaux qui chantent et de petits torrents qui roulent, cet air d'orage et cet air de mai font quelque chose de chiffonné, de triste, de riant que j'aime. Mais c'est l’Ascension aujourd'hui ; laissons la terre et le ciel de la terre, montons plus haut..." (28 mai 1835)


"Il pleut ; cette pluie, qui reverdit près des bois, tombe sur la terre qui te couvre et dissout tes restes au cimetière, là-bas à Andillac. Qu'on est heureux de penser qu'il y a dans l'homme quelque chose que n'atteint pas la destruction!" (31 août 1839)

"Galimatias spirituel pour le monde, et les solitaires peuvent mettre sur leur papier ce qu'ils veulent. C'est l'imprimerie cachée de mon âme qui se fait sur ce cahier, j'y trace tous ses caractères. Quelquefois je dis : " A quoi sert? A qui serviront ces pages ? Ce n'était de prix que pour lui, Maurice, qui retrouvait là sa sœur. Que me fait de me retrouver ?" Mais si j'y trouve une distraction innocente, si je m'y fais une pause dans les fatigues du jour, si j'y mets pour les y mettre les bouquets de mon désert, ce que je cueille en solitude, mes rencontres et mes pensées, ce que Dieu me donne pour m'instruire ou pour m'affermir : oh! il n'y a pas de mal sans doute. Et si quelque héritier de ma cellule trouve cela et trouve une bonne pensée, et qu'il la goûte et devienne meilleur, quand ce ne serait qu'un instant, j'aurai fait du bien. Je veux le faire. Sans doute, je crains de perdre mon temps, ce prix de l'éternité ; mais est-ce le perdre de l'employer pour son âme et pour une autre ?" (24 janvier 1840).





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