samedi 11 octobre 2014

NOUVELLE SAISON

Une ou deux saisons sont passées, saisons terrestres, et voici que je vous propose, dans mon blog d'écriture, un texte sur : " quatre saisons mensongères et une véridique".
A s'y perdre un peu...
A vous, chère lectrice, cher lecteur, d'y trouver votre fil d'Ariane.

Alors, mettez dans vos haut-parleurs "Echoes" 
https://www.youtube.com/watch?v=uJtw7SP0oN4&feature=youtu.be

et lisez ceci :

Concerto (déconcertant) en quatre saisons et une fugue.


L'été (origine).

Elle aimait à ne pas en parler, à taire l'instant de son premier cri.
Étouffée, s'étouffer. Le visage de la mère qui rougit, crie, suffoque et le sien essayant de trouver l'issue, de se détacher.
Sa mère avait toujours occulté l'instant de sa naissance ; il avait fallu questionner, enquêter et surtout deviner ; reconstituer le contexte, l'âge; pourquoi si tard ? Pourquoi entendre parler du frère et de la sœur en termes si heureux, élogieux ?
L'étrangeté de cette venue au jour a toujours été tapie au fond de son être durant des années, et s'est transformée à l'âge de raison en une conviction : celle d'être fille de châtelains, un jour errant dans ce lieu, l'abandonnant sans motif dans cette famille paysanne, rustre et la frustrant à vie de ses nobles origines, pourtant si évidentes.
On ne lui mentait pas puisqu'elle savait.
Il s'agissait plutôt là de secrets,

de l'arrière des choses.

Automne (premier amour).

Tout et rien. Comme les vagues de la mer ou la marée montante, sa première rencontre sur le ferry, avait tout et rien façonné de ses dernières années d'adolescente.
Recherche éperdue de l'idéal amoureux incarné dans le regard myope, profond et troublant du jeune homme brun. Les premiers émois : purs ? Éblouie ? Pas sur le moment où ils se vivaient juste. Mais ainsi refaits par les 30 ans de mémoire composée. L'absolu du désir envahissant, le chagrin de l'éloignement, la vie commune si peu commune.



Elle avait longtemps après confronté les souvenirs : la mémoire si différente, si décalée, les phrases oubliées par l'un, les retrouvailles ignorées de l'autre. Que restait-il d'eux, des décennies après? Des bribes du temps reconstituées, jamais décomposées, souvenirs roulés par les vagues sur les galets de la plage, face à l'horizon de leurs vies décalées, de leurs êtres sapés par tant d'années.
Seule la voix reste intacte.
Ils s'étaient retrouvés en Normandie, sur cette plage du débarquement, lui, rentrant de Floride, elle, se rendant à Londres auprès de sa fille. Était-ce à Deauville ou à Trouville ? Elle ne le savait plus. Et qu'importe, elle disait « je m'en fiche » car le temps lui avait joué des tours. Ils s'étaient laissé piéger à ce voyage, une seule et unique fois.
La mémoire nous trompe, nous nous mentons à nous-mêmes de façon si parfaite que nous pouvons ramener brusquement le temps d'hier à celui d'aujourd'hui ; alors que tout est illusion.
Comment peut-on arriver à effacer ainsi les jours et les années ?


Hiver (les séparations et les deuils).

Les saisons froides de sa vie, éclairée par une faible luciole, une fine étoile, ont condensé les séparations, les deuils, les jours gris ou noirs en de multiples gouttes d'eau qui dégoulinent sur la vitre glacée des douleurs.
Enfant, les deuils étaient des spectacles respectables, de sa famille autour d'un aïeul, d'une effervescence solidaire, d'une onde qui venaient s'abattre sur le groupe familial.
Mais c'est de plein fouet, avec une rare violence qu'elle avait ensuite encaissé, apprivoisé les disparitions brutales et soudaines de parents proches et d'amis.
Chaque fois, il fallait réapprendre la vie, à se réchauffer au feu de bois lorsqu'il pleut ou que la neige éloigne de tout et étouffe chaque bruit.
Continuer de croire, faire semblant ? Elle ne pouvait se leurrer, se mentir, jouer à. Même si le mensonge tentait de s'immiscer dans ses sourires ou ses convictions, elle continuait à croire avec force à la véracité des mirages dans le désert, à la lumière au bout du tunnel, à l'étoile polaire dans la nuit.
De nombreux signes s'écrivaient pour elle, désormais indéracinables comme le chêne auprès duquel elle allait retrouver ses racines et ses raisons d'être.
Et les mensonges zélés de son entourage n'atteignaient pas ses fondements.

Printemps.(La boucle est bouclée).

Fallait-il que les saisons rythment sa vie ?
Serait- ce enfin l'ultime? Celle de l'envol ? De la douceur de vivre, du chant des oiseaux, des reflets verdoyants des champs et de la beauté des paysages qui l'entouraient?
Oui, c'était cela.
Les mensonges passés s'effilochaient et la tranquillité lumineuse d'une vie à moitié accomplie envahissait ses jours.
Un printemps naturel et spirituel coulait dans ses veines, irriguait ses membres pour la porter sue les routes de pèlerinage, les chemins, non pas d'exil mais ceux d'une renaissance.
La boucle se bouclait : le printemps des origines.

La fin. La fugue.

Faux ! Tout est faux !
Elle entendit cette voix balayer du haut de son savoir ses quatre saisons, effacer les pages écrites.
La vérité ? C'est qu'il y a une autre saison, celle qui efface tout ce qui précède, celle qui abolit le temps, les serments, les mensonges, les traîtrises et petites lâchetés quotidiennes, la douleur, le ressentiment, celle qui érode les pics d'une vie.
Tout est faux.
Tout n'est que fadaises en tout genre.
Tout est illusion.
Le vernis se craquelle, le monstre sort et l'appelle, celui qui, enfant, la terrorisait, la gueule ouverte.

Il ne pourrait à présent ni transformer, ni posséder ce qui la constituait :
amour, prières, solitude, calme, le clair détachement de son existence d'ermite.
Et là, point de mensonges.





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